Actualité de
L’autre Afrique
July 2002
Diallo Bios,
Moctar Kane,
Luc Ngowet,
Fanny Pigeaud
Randy Weston un très grand
de "l´African Rhythm"
Au premier abord,
l'homme, avec son allure de colosse - il mesure plus de deux mètres -, et
sa démarche souple et posée, inspire une surprenante aisance naturelle.
Né à Brooklyn
New York, États-Unis
en 1926, Randolph Edward Weston, 76 ans aujourd'hui, respire une vitalité
rayonnante.
Dans nos échanges, son sourire joyeux, sa voix rocailleuse et chaude m'ont
toujours fait l'effet d'un génie bienveillant. Mais il faut aller au coeur
de la personne, de son singulier parcours de musicien dont l'Afrique est
la source inspiratrice pour saisir ce que cet homme a d'exceptionnel.
Remontons aux années 30, aux États-unis. Dans ce pays les Afro-américains
sont dépossédés de tout, à commencer par leur identité. Paul Robenson,
l'incomparable baryton, le chanteur d'opéra que l'Amérique n'a jamais eu,
également militant communiste et des droits civiques, est contraint de
s'exiler à Moscou où il finira ses jours. La ségrégation et le racisme
constituent alors les fondements de la société américaine, où les chiens
policiers sont dressés pour tenir les Nègres à leur place.
C'est dans ce contexte que le père de Randy, Panaméen d'origine jamaïcaine
et disciple de Marcus Garvey, lui révèle, à 6 ans, sa vocation "Tu es
africain, né en Amérique. Ton histoire, c'est l'Afrique. Pour mieux la
découvrir et te connaître, étudie, approfondis l'univers des sons, des
rythmes africains, ils sont en toi. "
A 14 ans, ayant plus que jamais en tête les phrases prononcées par son
père, le jeune Randy décide de suivre les cours de piano, malgré sa
préférence pour le sport auquel le prédispose sa carrure athlétique.
Il se fixe pour conduite de fréquenter les grands maîtres du jazz - genre
pour lequel il manifeste un vrai engouement -, en particulier Max Roach,
son voisin de quartier, chez qui se réunissaient Wynton Kelly, Charlie
Parker, Cecil Payne et d'autres initiateurs.
Randy Weston sillonne sans se lasser la 52nd Rue, un quartier presque
magique de Brooklyn où les clubs de jazz les plus célèbres s'identifient à
des temples de la musique. Là, se croisent et se produisent les plus
grands du jazz, pour qui la musique est, plus qu'un métier, la forme
artistique par excellence où l'âme et l'esprit retrouvent leur unité. Des
chanteuses comme Billie Holiday, Mahalia Jackson, par leur prouesse vocale
et leur fraîcheur émotive, transportaient les auditeurs sur des hauteurs
de liberté et de beauté indescriptibles.
Randy évoque avec sourire et délectation, mais sans nostalgie, ces moments
prodigieux. "Des gens comme Teddy Wilson, Dizzy Gillespie, Art Tatum,
Charlie Mingus, Bud Powell, Duke Ellington... nous ont gratifiés de ces
moments fabuleux. Ils étaient d'une force, d'une ingéniosité inouïe. Leur
musique nous parlait, nous pénétrait, nous faisait grandir. Quant à
Armstrong, on se demandait où il puisait ses sons !"
Jeux
de contraste
A 19 ans, il rencontre
le pianiste Thelonious Monk, futur monstre sacré, dont le noeud des
accords le subjugue. Le génie de Monk, c'est qu'il a su dépasser les
classifications harmoniques et trouver les nouvelles teintes sonores où la
synthèse du blues et du bop ouvre des espaces insoupçonnés.
Randy, avec l'appui de Monk, renouvelle et aiguise ses phrasés par des
touches hard prolongées et amples, où s'élaborent des variances sur
lesquelles vont s'édifier ses compositions. En peu de temps, il possède, à
l'égal du maître, la clé du sens rythmique à partir duquel le swing
devient pulsion d'énergie. La musique Westonienne englobe l'humour
tonique, les jeux de contrastes qui se chevauchent dans un chant ivre pour
s'éteindre dans un volume de cercles... et finit parfois sur un son de
cloche.
Ce formatage musical trouble les critiques. Ils trouvent alors une parade
: on ne parlera pas de lui, tout simplement ! Randy n'est aucunement gêné.
II y décèle au contraire un signe, le tracé d'un sillon qui doit le
conduire sur les rives africaines. Langston Hugues, Countee Cullen, des
écrivains poètes de la Harlem Renaissance le soutiennent et l'encouragent
dans l'exploration rythmique et harmonique des sons ancestraux.
Lu 1960, en compagnie de la tromboniste et arrangeuse Melba Liston, il
compose
Uhuru Afrika ("Liberté pour l'Afrique", en swahili ), sur un poème de
Langston Hugues, à l'occasion (1e l'indépendance des pays africains. Les
quatre suites de
Uhuru Afrika célèbrent la femme africaine, les liens entre l'Afrique
et ses descendants d'Amérique ainsi que l'idée d'une Afrique moderne phare
d'un nouveau futur. Avec une trentaine d'Africains Américains, pour la
plupart écrivains et musiciens.
Randy Weston se rend en 1961 à Lagos, au Nigeria. Il est enfin au coeur de
sa quête "Mother Africa". Il y retourne en 1963, en nouant de solides
amitiés avec les musiciens locaux qui lui ouvrent les arcanes (le la
musique traditionnelle dont les effets rythmiques et poly-phoniques lui
renvoient en écho les battements de cœur, le souffle des gospels, du
rhythm and blues, du calypso, de la musique cubaine, brésilienne...
La terre perdue retrouvée, il ne résiste pas à l'envie d'y revenir. En
1964, il est invité à dispenser des cours à l'université de Lagos sur
l'histoire du jazz, mot qu'il n'aime pas, à cause de sa connotation
commerciale, selon lui. II lui préfère le terme d' "African Rhythm". Sa
quête se révèle néanmoins inassouvie.
Aussi effectue-t-il, en 1967, une tournée pèlerinage non-stop à travers
une quinzaine de pays: Ghana, Afrique du Sud, Zambie, Tanzanie, Mali,
Sénégal... Tournée au terme de laquelle il pénètre dans le panthéon de la
musique traditionnelle africaine, où le sacré et la vie dans tous ses
attributs sont indissociables.
Le spectacle des danses et les chants (les multiples confréries
initiatiques des ethnies dogon, akan, ewe, yoruba, ashanti…., où tout le
peuple est convié, le convainc de la puissance de l'imaginaire. Là, le
monde créé se renouvelle, se recrée.
L'espace revu et redéfini provoque des inventions sonores à profusion à
travers une expérience commune. Son ami nigérian Bobby Besson lui fait
connaître le "high life" en vogue dans toute la région. Il saisit
l'occasion de cette découverte et produit
Music from the New Africans Nations Featuring High Life, qui inclut
une interprétation de "Niger Mambo", de Bobby Besson, et une adaptation
d'un air populaire congolais, "Congolese Children".
Musiques sacrées
Son périple africain
d'est en ouest l'enrichit d'une surabondante récolte et lui ouvre un
autre horizon : le Maroc. II s'installe, pendant six ans à Tanger, et
ouvre The African Rhythms Club. De nombreux musiciens s'y produiront,
notamment Max Roach, Ahmad Jamal, Ibrahim Abdullah.
Là, Randy découvre aussi les Mâalem Gnawa, maîtres initiés. Descendants
d'esclaves déportés d'Afrique de l'Ouest au XVIe siècle, les
Gnawa sont connus pour leur musique sacrée au pouvoir guérisseur.
Utilisant des instruments simples, le karkaba (castagnettes en métal) et
le hag'houge (guitare à trois cordes), ces maîtres initiés jouent une
polyphonie complexe avec une très grande variété tonale.
Les retrouvailles avec de tels musiciens issus du fond des âges sont
inespérées. Avec le maître Gnawa M’Alem Abdellah El Gourd, Randy crée un
groupe élargi aux apports multiples. C'est la fusion et une série de
prestations dans les grandes capitales.
"J'ai appris des sociétés traditionnelles africaines qu'il ne peut exister
de civilisation sans une forte base spirituelle, confie-t-il. Et cette
base spirituelle, c'est la musique. Jouer avec les maîtres Gnawa est une
expérience unique. Eux comme nous, les Africains Américains issus de
l'esclavage, nous partageons la même spiritualité. Nous avons survécu à
l'esclavage grâce à la musique. Elle est chant, danse et prière. "
Parmi les dizaines d'albums produits en plus de cinquante ans de carrière,
la vitalité de l'ingéniosité de Randy Weston, qui surgit d'un héritage
spirituel multiséculaire, se dévoile tout particulièrement dans ceux de la
dernière décennie.
The Spirits of our Ancestors
1991,
Earth Birth
1997
et
Ancient Future
2002
incitent à la fois à la danse et à l'élan du don.
Entrer dans une création de Randy Weston, c'est embarquer dans un voyage
multi sons, c'est gravir une montagne et sa double face. Son piano devient
un battement puissant puis égrène quelques "notes de balafon". On passe
d'une ligne épurée qui, en quelques notes, dit l'essentiel, à une
luxuriance sonore chargée de couleurs en arc-en-ciel.
Compositeur et pianiste de talent, Randolph Edward Weston a ainsi reçu,
tout au long de son parcours musical, des dizaines (le titres honorifiques
à travers le monde. Le compositeur sénégalais Yeego Jeng, de l'ancien
groupe Xalam, et fondateur de Wa Yego ("les Amis de l'entente"), me confia
récemment :
"Randy Weston est en
luimême une grande école.
Il a corrigé le langage du piano.
"
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