Le Quotidien
Sénégal
11 february 2006
Emmanuelle LOVAT
Randy Weston, percussionniste au piano :
Un style déconcertant à apprivoiser
Des airs jazzys, mâtinés de sonorités africaines et rythmés à l’extrême, s’échappent du piano. Une musique à mi-chemin entre Duke Ellington et Thelonious Monk. Un style original, déconcertant, caractéristique entre tous : celui du pianiste afro-américain Randy Weston. Un virtuose, les Dakarois ont pu apprécier, lundi dernier au Théâtre Sorano, à l’occasion d’un hommage rendu à Cheikh Anta Diop.
Blues, rap, mbalax, folk, jazz : c’est un concert aux tonalités variées qui s’est déroulé, lundi dernier, au Théâtre Sorano. Omar Pène, Didier Awadi, les Frères Guissé, Ouza Diallo, les grands noms de la scène musicale sénégalaise se sont mobilisées pour rendre un vibrant hommage à Cheikh Anta Diop. Par des chansons composées spécialement pour l’occasion, les artistes ont célébré non seulement le vingtième anniversaire de la disparition du pharaon noir, mais surtout l’importance de son héritage pour l’émergence d’une conscience africaine, enfin fière d’elle-même.
C’est avec la prestation époustouflante de Randy Weston que le spectacle a atteint son apothéose. Assis au piano, calme et souriant, l’artiste afro-américain respire l’aisance et la simplicité. Le concert débute par un solo. Les notes s’égrainent, leur sonorité claque dans la salle. Les doigts, agiles, virevoltent, bondissent et envahissent furieusement tout le clavier. Randy Weston fait corps avec son instrument, avec sa musique. Celle-ci gagne en puissance et en émotion au fur et à mesure de son écoute. Des arrangements colorés naissent, où l’influence de Duke Ellington est perceptible.
Mais, c’est par son style éminemment percussif que Randy Weston se démarque. A l’image de Thelonious Monk, l’artiste joue au piano comme il jouerait des percussions. Le public se surprend à se méprendre, il s’égare : ce n’est plus le piano, mais le balafon qui résonne dans sa tête. Le titre Blue Mother achève de séduire un public enthousiaste. Suivent, alors, des duos avec le guitariste Oumar Sow. Une musique légère, délicate, mâtinée d’influences orientales, s’élève. Construite sur un jeu de questions-réponses, elle devient hypnotique, mystérieuse. Des applaudissements fusent dans la salle. Ils émanent, en particulier, de nombreux étudiants, visiblement profanes, mais charmés, cependant, par ce style si particulier.
Échappant, résolument, à toutes classifications, le résultat, à mi-chemin entre blues et musique africaine, est des plus réussi. Si l’artiste semble fuir tout carcan stylistique et laisser libre cours à l’inspiration, il fait cependant preuve d’une maîtrise parfaite. Un savant mélange de contrôle et d’improvisation qui se révèle gagnant. Tout est jeu de contrastes, de ruptures, d’écarts de ton. Lignes épurées, qui ramènent à l’essentiel, alternent avec des explosions sonores envolées. Inspiré, le pianiste trouve la nuance à laquelle personne n’a pensé, celle qui apporte, pourtant, un certain relief, du souffle à l’ensemble. Loin de craindre les temps de silence, le pianiste les apprivoise avec brio. La musique respire, se pose un temps pour mieux prendre son essor. Simple exercice de style, expérimentation qui voudrait innover pour innover ? Des pièges que Randy Weston évite soigneusement. Sa musique a une âme, elle ne reflète que des émotions.
Pas de tape à l’œil. Loin de toute mode, le pianiste joue d’abord pour lui, des airs originaux et très personnels. Mieux vaut assister au concert sans avoir aucune attente. Difficile d’apprécier ces morceaux aux rythmes surprenants, aux développements imprévisibles, au dénouement incertain. Les airs se dévoilent pour mieux se dérober l’instant suivant. Cette musique est rarement accessible à la première approche. Plusieurs écoutes paraissent nécessaires pour que l’oreille apprivoise ces sons déconcertants, perce leurs mystères. Il faut se laisser gagner par l’intuition, accepter d’être déstabilisé et emporté par le flot des notes, qui naissent sous les doigts du virtuose.
Reprinted with permission Copyright (c) 2006
Le Quotidien / Emmanuelle LOVAT
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