L'Humanité
Hebdo
22 07 2000
F.C.
Randy Weston le Maâlem de la
Blue Note
Depuis 1968 et sa cohorte de rêves et de révoltes, la
musique gnaoui exerce une fascination sur les plus grands artistes du
monde: Jimi Hendrix venu à Essaouira peu avant sa mort, Mick Jagger qui
n'a pas manqué de faire un pèlerinage au Maroc, Peter Gabriel qui signe un
mot d'admiration sur le dernier disque de maâlem Hassan Hakmoun (Life
Around the World)...
Mais aucun de ces artistes occidentaux n'a été aussi loin dans son
approche de l'art sacré des gnaoua que le pianiste afro-américain Randy
Weston. À la tête de son African Rhythms Quintet, il a enregistré son
dernier album,
Spirit! the Power of Music, lors d'un concert dans une église
new-yorkaise avec deux <maîtres groupes respectifs: M'Barek Ben Othman (
Maâlem de Marrakech) et Abdellah El Gourd ( Maâlem de Tanger).
L'admirable opus commence par un solo de piano; une méditation s'appuyant
sur un travail harmonique original; une prière dans une gamme
pentatonique, qui semble s'adresser aux ancêtres africains. Pas de tape à
l’œil. Au-delà des notes, dans leurs interstices, on entendrait
presque danser, au cœur du silence, un de ces esprits que les gnaoua
célèbrent.
Après deux passages au Nigeria en 1961 et 1963, Randy Weston retourna en
Afrique pour une longue tournée en 1967, qui se termina au Maroc. À
Tanger, j'ai entendu Abdellah El Gourd jouer du guenbri, explique-t-il.
J'ai aussitôt senti que quelque chose était en train de changer une
intense émotion ainsi que par une sérénité bienfaisante. Je me suis
installé pour six ans à Tanger, où j'ai fondé le centre culturel African
Rhythm Club, avant d'organiser un festival en 1972.
Abdellah El Gourd, en plus d'être un formidable instrumentiste, possède
une grande connaissance de l'histoire Gnaoui, dont il a réuni des
archives. C'est grâce à lui que j'ai été initié. » En 1969, le pianiste
qui, à ce moment-là de sa carrière, avait déjà collaboré avec le gotha du
jazz ( Art
Blakey, Kenny Dorham ... ) participa à une Lila.
Cette nuit initiatique révéla au maestro de la blue note que sa couleur
est... le bleu. De sa voix grave et calme, il ajoute: « À cette
époque, vivaient encore beaucoup de vieux Mâalems, détenteurs d'un
précieux savoir.
Depuis, musique des gnaoua est devenue une mode. Le temps distinguera les
vrais dépositaires des opportunistes. » La spécificité de Randy Weston
réside en sa science embrassant les grands courants de la « great black
music » - blues, jazz, gospel, rythmes africains... Sa démarche est,
finalement, proche de celle des gnaoua, dont le syncrétisme a fondu des
éléments du continent noir avec des composantes berbères, arabo -
musulmanes et juives.
Au lieu de la niveler par le bas comme l'effet de mode risque de le faire,
l'homme bleu du jazz contribue à enrichir la musique de ses ancêtres.
Cela, le vieux maâlem Abdellah El Gourd l'a compris.
Reprinted with permission Copyright (c) 2006
L'Humanité Hebdo / F.C.
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